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Effet de la sécheresse sur la faune: impact sur la reproduction du Merle noir

Les années 2022 et, surtout, 2023 sont marquées par une sécheresse remarquable par son intensité et sa durée dans le sud languedocien (Pyrénées-Orientales/66 et Aude/11). A l’heure où sont écrites ces lignes (31/05/2023), la sécheresse est encore très marquée, impliquant un taux d’humidité très faible des sols, y compris en profondeur, dans la majorité des zones de moyenne et basse altitude du sud-est de la région Occitanie. Signalons cependant les dernières précipitations significatives de la dernière décade de mai 2023, en particulier sur les hauts cantons des Pyrénées-Orientales, et y compris sous forme de neige.

Nous sommes régulièrement interrogés par le grand public sur l’impact de cette sécheresse sur la faune et, bien que le printemps soit loin d’être fini, nous avons recherché quelques premiers éléments pour documenter et quantifier nos impressions de terrain.

Les bases de données participatives, telle Faune LR / Faune Occitanie, permettent, grâce à la contribution massive de nombreux bénévoles naturalistes, des analyses particulièrement intéressantes, en particulier pour ce qui concerne la phénologie de reproduction (d’où l’importance de bien renseigner les indices de reproduction !).


Juvénile de Merle noir quémandant de la nourriture à son père (J. Laurens/GOR)


Ci-dessous, les premiers éléments concernant l’impact de la sécheresse en cours sur la reproduction du Merle noir dans le sud de la région (départements des Pyrénées-Orientales et de l’Aude).


Alors que le nombre de données récoltées chaque année dans notre base de données est stable, après une augmentation régulière de 2013 à 2019, le nombre d’observations de nourrissage de Merle noir (indice de reproduction : transport de nourriture pour le nourrissage des jeunes) est en forte diminution depuis 2021, avec un début de printemps 2023 particulièrement pauvre en données (plus de 50% de diminution par rapport à la moyenne 2020-2021).


La période avril-mai 2023 se situe bien en dessous de la moyenne 2020-2023. Le pic de nourrissage observé en 2020/2021 (2 printemps qui peuvent être qualifiées d’humides, en particulier 2020) lors de la 3e décade d’avril et la première de mai, est complètement inexistant en 2023. Remarquons cependant une nette remontée du nombre de nourrissages durant la dernière décade de mai 2023, probablement à mettre en relation avec les dernières pluies enregistrées durant cette période.


Le décalage de la phénologie de reproduction du Merle noir semble ainsi plus influencé par les précipitations que par la température. Loin d’avancer leur reproduction, le Merle noir semble au contraire être en capacité de la décaler (exemple des années 2022 et 2023), bien que le solde de « nombres de reproduction totales » reste très en-deçà de la moyenne. La réévaluation de ces paramètres à la fin juin nous apportera des éléments d’analyse complémentaires.


Les raisons de cette « absence » de reproduction du Merle noir en période de sécheresse peuvent être mises en corrélation directe avec l’indisponibilité de sa ressource principale pour le nourrissage des jeunes : les lombricidés (« vers de terre »).

En effet, les taux d’humidité très faibles du sol, y compris jusqu’à 50cm de profondeur, rendent cette ressource complètement indisponible pour les oiseaux (et même après le travail de labour des jardiniers !).


Merlette en quête de nourriture (J.Y. Bartrolich/GOR)


Le Merle noir, oiseau particulièrement commun dans notre département qui a étendu son aire de reproduction à la plaine du Roussillon il y a une vingtaine d’années, n’est certes pas menacé actuellement. Cependant, les éléments recueillis sur cette espèce peuvent être probablement généralisés à beaucoup d’autres espèces, au premier rang desquels les autres grands turdidés : Grive musicienne et Grive draine.

La perte de biomasse de la faune du sol, particulièrement marquée lors des années de sécheresse, pourrait ainsi conduire à de fortes baisses locales d’effectifs (ponctuelles ?) pour plusieurs espèces : Merle noir, grives mais aussi Rougegorge familier.

Au-delà des espèces se nourrissant au sol, une baisse des effectifs reproducteurs de nombreuses espèces « sédentaires » - pour lesquelles d’importants contingents nord-européens viennent renforcer les effectifs en période hivernale - pourrait également être de mise lorsque la sécheresse sévit fortement en début de printemps, comme ce fût le cas en mars/avril 2023. La Grive musicienne et la Fauvette à tête noire en sont deux exemples évidents.

Enfin, et pour finir de passer en revue la famille des grands turdidés, signalons les très faibles effectifs reproducteurs de Merle à plastron notés sur le massif du Canigou en 2021/2022, alors que l’espèce y était assez répandu au début des années 1990 (Dejaifve, 1995). Une évolution climatique défavorable (sécheresses de fin d’hiver ?) pourrait également expliquer, au moins en partie, cette raréfaction à l’échelle de ce massif très particulier au niveau de la climatologie locale. Pour ceux que ça intéresse, n’hésitez-pas à consulter notre rapport d’étude sur le Canigou : https://www.gor66.fr/autres-rapports



Merle à plastron (J. Feijoo/GOR)


Évidemment, les données ayant servi de base à la rédaction de cet article ne sont que des données opportunistes (acquises sans protocole scientifique de dénombrement) et le nombre de données reste faible sur le territoire considéré, impliquant des biais qui peuvent être importants. Toutefois, la récolte massive de données grâce aux bases participatives permet de nous renseigner sur les variations inter-annuelles de phénologie (voire d’abondance) des espèces les plus communes. La phénologie de reproduction des différentes espèces nicheuses mérite une attention particulière dans un contexte de changement climatique rapide. Le nombre de couvées réalisées chaque printemps, le nombre de jeunes produits en moyenne par couple, par exemple, sont des éléments particulièrement importants pour le bon renouvellement des générations de chaque espèce et donc pour sa survie à moyen/long terme sur notre territoire.


Sans ces données, issues des ornithologues amateurs de la région, de telles analyses ne pourraient être conduites !

…donc n’oubliez-pas de contribuer :


Fabien Gilot

Groupe Ornithologique du Roussillon


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