Ce corvidé est de taille comparable à celle d’une Corneille noire, mais son cri est différent et son bec de couleur claire, déplumé à la base, le distingue de tous les autres corvidés. Il est grégaire tout au long de l’année. En hiver et en automne, on peut le voir en bande arpenter consciencieusement les labours à la recherche de vers ou bien glaner quelques grains entre les rangs de vignes. C’est en Salanque que l’on aura alors le plus de chance de le rencontrer. Le soir venu, les freux regagnent Perpignan, se rassemblent en plusieurs prédortoirs, puis, à la nuit tombée, rejoignent le principal dortoir pouvant regrouper près d’une centaine d’oiseaux. Dès février, les couples se forment, se rassemblent en petites colonies et commencent à bâtir leurs nids en haut de grands platanes ou peupliers. Certains n’hésitent pas à « démonter » un nid de pie voisin du site choisi pour y voler les brindilles qui serviront à la construction. Cela entraîne alors de rudes échanges entre les deux espèces qui se terminent souvent au détriment de la pie qui devra trouver un autre emplacement pour abriter sa nichée. Certains nids peuvent atteindre des dimensions impressionnantes et peuvent être qualifiés de « nids cheminées » ce qui les rend particulièrement vulnérables vis-à-vis des tempêtes de tramontane.
Corbeau freux : nid « cheminée » à Perpignan (Y.Aleman)
En mars, c’est le temps des amours et des parades. La « corbeautière » s’anime et devient bruyante. Les croassements incessants alternent avec les jeux amoureux qui consistent en des face-à-face ailes et queue étalées ou bien à des courbettes alternées entre les deux partenaires. S’en suivent l’accouplement et la reprise immédiate des travaux d’aménagement du nid.
Corbeaux freux : parades (H.Blanes)
Soudain, début avril, tout devient calme. Seuls quelques corbeaux semblent monter la garde près des nids. Cependant, en y regardant bien, on apercevra bien vite une queue dépasser du nid. Pas de doute ! la couvaison a commencé. Les premiers nourrissages de jeunes au nid sont observés début mai et, mi-juin, on peut déjà assister à de grands rassemblements regroupant jeunes de l’année et adultes (maximum 87 le 16-06 à Perpignan).
Dans le midi de la France, c’est souvent en ville que cette espèce s’installe pour nicher en général dans les grands alignements de platanes bordant les voies de communication (routes, canaux,..). Au début des années 2000, la seule colonie connue du Languedoc était installée dans les platanes de l’avenue longeant le jardin botanique de Montpellier. Il faut attendre 2013 pour voir se multiplier les observations de cette espèce dans les Pyrénées-Orientales et l’observation de jeunes oiseaux nourris par les adultes en Salanque en 2014 laisse supposer une reproduction dès cette année. Cependant, les premiers nids n’ont été découverts qu’en 2017 à Perpignan dans les grands platanes du square Bir-Hakeim et dans le quartier Saint-Assiscle. Depuis, d’autres sites de reproduction ont été localisés dans la ville, mais aussi çà et là en Salanque (Saint-Hippolyte, Bompas). Grâce à un suivi régulier, nous avons remarqué que l’emplacement des colonies de Perpignan changeait régulièrement. Seule celle implantée dans le quartier Saint-Assiscle est occupée régulièrement depuis sa découverte en 2017. Cette instabilité des colonies est connue chez cette espèce sans qu’on en connaisse la raison. Actuellement, la population départementale est estimée à une vingtaine de couples et semble stable. Preuve du dynamisme de l’espèce, la reproduction a également été découverte récemment dans l’Aude, en 2018 à Narbonne et, poursuivant sa conquête du sud de l’Europe, le freux a franchi la frontière et niche (en très petit nombre) en Catalogne Sud à Figueres depuis 2019. Il est même probable que quelques oiseaux y passent l’hiver, comme le montre les observations régulières de l’espèce en migration active sur le site de suivi de Saint-Nazaire depuis 2014.
Perpignan le 12/04/2021 – Yves Aleman
Photo de couverture: A.Labetaa.
Quelle analyse précise et passionnante de ce grand "déplacement" progressif des freux vers le sud, et particulièrement de leur reproduction et nidification.
La phrase : "Cette instabilité des colonies est connue chez cette espèce sans qu’on en connaisse la raison." renvoie à une observation (unique) que j'ai faite et dont je n'ai jamais réussi à comprendre la raison.
Sur la N7, entre Nevers et Moulins, il y a une portion de route (que je pourrais mieux situer) bordée de très hauts platanes continûment sur au moins 4-5 kms, en ligne droite.
Un jour au moment de la construction des nids, je suis passée là et j'ai assisté à un incroyable chantier : des centaines, plutôt des milliers (sans aucune exagération)…